Un vol de rêveMillau, un matin de mi-novembre, en plein confinement.
Presque 3 h de route depuis Muret.
J’en ai raz le bol de rester confiné avec un ridicule ausweiss, à l’abri d’une contagion qui peut-être viendra ou ne viendra pas. Si elle vient, on verra bien. Soit rien, soit une bonne grippe. Il me reste encore 3 ans pour être dans la catégorie des condamnés à mort. Alors, au diable les varices.
Aucun véhicule bleu, avec une pustule de la même couleur sur le toit, rencontré depuis la maison.
Ce n’est pourtant pas l’heure de l’apéro, mais tant mieux pour moi.
J’arrive au déco de la Puncho, et là, une fourgonnette blanche sur le parking. Aucun risque (normalement) pour le moment pour les 135 €. À part elle, pas âme qui vive en ces lieux.
Je laisse la voiture dans un coin aussi discret que possible, et arrivera ce qu’il arrivera. Le monde appartient aux audacieux et la chance sourit à ceux qui se lèvent tôt. J’en fais partie aujourd’hui.
Je vais prendre les conditions vers l’antenne.
Le vent est en légère Tramontane, donc de face pour le décollage Nord. Ça devrait le faire. Je retourne donc vers la voiture pour prendre le matos.
Un chien arrive tout à coup, et je crois rêver : c’est mon chien. Un Deutch Jagd Terrier. En y regardant de plus près, certaines taches oranges ne sont pas pareilles.
- D’où viens-tu ? Kèstufélà ?
Arrive un gars habillé un tantinet militaire. Bref il ressemble à un chasseur.
- Bonjour !
- Bonjour ! Je suppose que c’est votre chien !?
- Ouai ! Je sors le promener car en ce moment il n’est pas trop à la fête. Ici il est aux anges.
- Vous l’appelez comment ?
- Obélix.
- Pardon ? Vous voulez rire ?
Gros étonnement dans ses yeux.
-Non, pourquoi ?
- Ben j’ai le même et il s’appelle pareil !
Large sourire sur son faciès. Comme quoi la terre plate et confinée est minuscule.
- Et vous l’avez eu où ? Et tout le toutim concernant le toutou qui courait toujours entre nos jambes.
Et là, c’est parti. À bâtons rompus. Discussion autour de tous les sujets possibles et imaginables. Tout y passe. Le putain de confinement, la chloroquine à qui on a laissé aucune chance sous des prétextes douteux, et les labos, et les collabos, et le Pr Raoult, et les annonces de Manu et du Gersois. Même la chasse y passe. Et même le vol libre, car cette personne est un ancien deltiste.
On discute évidemment des différentes options de cross au départ de la Puncho D’Agast.
Après bien des palabres, va falloir penser, comme nos élites, à voler.
- Tu veux que je t’aide ? (car le tutoiement s’est installé naturlich)
- Non, ça va aller.
- Qu’est que tu compte faire ?
- Ben ce ne sont pas des conditions canon. Je vais essayer un peu de soaring sur la crête, et j’aviserai.
- Ok, alors bon vol et bonne chance pour le PV.
- Merci ! (avec un sourire crispé)
J’étale ma bonne vieille Chili2 aux couleurs de la Jamaïque; séquence démêlage. Vérif. de la Delight, des pruneaux dans la poche droite, le camelbag à moitié.
De l’appréhension quand même, due à la situation de contrebande, et au fait que c’est le 1er vol de l’année (hé oui!).
Brélage, vérifications : les cuissardes, la ventrale en 2 parties, l’anti-oubli. Le Brauniger IQ Basic sur ON, la radio sur la fréquence 143,9875, dans la poche droite du cocon. Merde ! Y a déjà les pruneaux. Transfert des pruneaux vers la gauche, moins un dans la bouche. Le chapeau en peau de locomotive sur la tête, les gants, le tour de cou. On souffle un peu pour le nœud au ventre.
Je passe les élévateurs par dessus la tête en effectuant le demi-tour. Recul, tension des élévateurs.
La voile commence à écoper, le cul toujours au sol. Vérif. des suspentes. Tout est bien libre.
- Qu’est-ce que ti est bèèèlle !
Il y avait si longtemps …
Bon, on va vazir.
Re-souffle. 2 pas en arrière pour assister à la résurrection du volatile qui monte pénardement au dessus de moi. La dernière vérif. Demi-tour, 4 pas et le miracle se re-re-re-re-reproduit.
????? Putain que ça fait drôle !! Ça monte tout doucement. Biip !+1 au vario.
Quart de tour à droite. Retour vers le déco qui est maintenant légèrement au dessous de moi. Re demi-tour, etc … Bref, du soaring sur une centaine de mètres de largeur. Je suis maintenant au dessus de l’antenne que je vais survoler sans dépasser la crête Sud, car j’y ai déjà pris une partie de l’aile sur la tronche en d’autres temps.
J’avance un peu plus sur la vallée et là, un bip bip un peu plus costaud à +3. J’enroule. Nous sommes pourtant en novembre . Mais j’achète quand même. Céssibon !!!
1050 m à l’alti, autrement dit 200 m au dessus de la Puncho.
Retour vers la crête au dessus de laquelle je ne perds que 50 m et pars plein nord-est en direction de Carbassas où j’arrive en ayant perdu une vingtaine de mètres. La combe orientée E/O me fait perdre presque 150 m. Je trouve quand même un petit +1,5 que je dépêche d’enrouler.
Et là, prout ! Une mini frontale que je contre en donnant un chouia de plus aux freins. Le temps de re-lever les yeux, ma mémère a fait son boulot et tout est redevenu comme sur les photos du site Skywalk. Méfiance quand même. On relève les mains quand survient une fermeture à droite, côté extérieur. Je m’accroche à l’élévateur gauche en freinant légèrement à droite et tout redevient à la normale en beaucoup moins de temps qu’il n’en faut à Trump pour sortir de la Maison Blanche.
Je reprends péniblement une centaine de mètres et mets le cap sur le causse (Noir) surplombant Paulhe. J’avance dans du + 0,8. Que demande le peuple rebelle ?
Direction la traversée de la vallée du Tarn. Ça devrait le faire. Puis je me ravise et reste au dessus des falaises du Causse Noir dans une direction Nord-Est. J’avance toujours dans du 0, -0,5 et +0,5.
Je décide quand même de traverser la vallée vers Rivière / Tarn depuis La Cresse.
Méfi. car je risque à un moment donné d’être sous le vent. Je reviens alors sur le Causse Noir. Un pétard en +4 m’amène à 1500 m. En plein mois de novembre. Fuck le confinement !
Transition vers Peyreleau – Le Rozier d’où j’aperçois Le Point Sublime et bien sûr le Causse de Sauveterre.
Putain, ça va craindre si je pose dans le coin avec un retour en mode contrebandier ! Tant pis pour moi, mais ça en vaut la chandelle. Pas de regrets.
J’en suis à 2 heures 30 de vol. Pas soif, pas pipi, pas caca. Tutti va bene. Un pruneau plus tard je suis au niveau du Point Sublime.
Des volatiles sont devant moi dans une pompe. En approchant, ce sont des vautours. Peut-être Julio le héros de « La pompe à Jules » ? (bouquin que je vous recommande). Parmi cette escadrille, il me semble distinguer un gypahu barbette. Je ne savais pas que cet aéronef arpentait ces lieux.
Direction le Cirque de Pougnadoires d’où j’entrevois Sainte Énimie et son pont.
Là, vaut mieux pas que je me fasse enterrer dans les gorges, sinon mauvaise limonade.
Je traverse la vallée du Tarn à Saint Chély pour raccrocher le moins bas possible le Causse Méjean.
J’y arrive à 1100 m car, Ô Couillon ! ça grimpote toujours. Bon, c’est pas Piedras Blancas au mois de juin, mais ça tient !
Faudrait quand même penser au retour vers la capitale du gant.
Je suis au raz des pâquerettes du Causse, environ 100 m et essaye de contourner les collines qui sont à mon niveau de vol, voire au dessus. Des petits thermiques désordonnés mais salvateurs m’aident, et je les en remercie. Le Dieu des truandeurs de règles stupides est avec moi . Bisou à toi.
Vers le Mas St Chély, j’oriente mémère Chili franchement sud-ouest pour tailler en ligne droite vers l’Aven Armand et pour pouvoir repasser le Causse Noir. Quand je traverse La Jonte, des vautours partout. C’est leur maison.
Ils ne m’arrivent pas Je ne leur arrive pas à la cheville en matière de vol à voile et semblent me le montrer. Chacun son métier.
Une fois la Jonte franchie, avec deux pruneaux, je me substante tout en suçant la pente qui me sustente sous mes suspentes. Deux pruneaux valant mieux qu’une prune, cela va sans dire, même si je n’en suis pas à l’abri.
À partir de maintenant, je peux poser, avec, pour seule contrainte, une bonne bavante pour les mollets dans une contrée sans trop de risque prunesque.
Je suis presque au dessus du chaos de Montpellier le Vieux, en visuel de la Puncho d’Agast au loin, quand je sens une grosse bouffée de chaleur sur mon faciès de bandit de grand chemin. Ouai, ça chauffe dur !! C’est la première fois qu’en vol j’ai cette sensation d’une masse d’air vraiment chaude sur la figure. Et là, le vario qui se met à couiner tout ce qu’il sait !! Mais un couinement on ne peut plus bizarre, que je n’ai jamais entendu, du style tutut ! Tutut ! Tutut !
Et ô stupeur ! J’ouvre les yeux et vois mon Obélix penché sur moi en train de me lécher la joue droite, pendant que mon smartphone gueule comme un putois à côté de mon fauteuil !
ENFOIRURE IMMONDE !! TA RAAAACE D’ÉLECTRONICTAMÈÈÈRE!!! À 8 petits kilomètres du but !!
Je me secoue légèrement en maudissant le progrès et pars avec les larmes au yeux me faire un café.
La voiture est toujours dans son appentis. Pas besoin de retourner à Millau.
Je vais me faire une grille sudoku.
Un vol de rêve Un rêve de vol.
Bruno.